« Ne suis-je pas une femme ? » : Femmes noires et féminisme. bell hooks

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« Ne suis-je pas une femme ? » : Femmes noires et féminisme. bell hooks

UN MOT SUR L’AUTRICE

Née le 25 septembre 1952 à Hopkinskville (Kentucky), Gloria Jean Watkings, dite bell hooks, vécut dans le sud rural des Etats-Unis. Issue d’une famille pauvre, de classe ouvrière, son père était concierge et sa mère, femme au foyer. L’autrice grandit au sein d’une fratrie de sept enfants dans une région fortement marquée par la ségrégation raciale. L’écriture s’est très vite présentée comme une voix salvatrice pour bell hooks, notamment pour se libérer des traumatismes de son histoire. Son pseudonyme fusionne les noms de sa mère et de sa grand-mère et est écrit en minuscule pour signifier que le contenu de ses livres prime sur son nom. Par cette force, elle est parvenue à s’imposer dans le monde intellectuel, largement dominé durant ses années de formation par les hommes blancs des classes sociales supérieures. Elle expliquera que grandir dans une famille pauvre, noire et en tant que femme a eu un profond impact sur elle et n’a cessé de nourrir son engagement politique. A la fin de ses études secondaires, hooks fréquente les universités de Standard (1973) et du Wisconsin (1976) en littérature anglaise. Sa thèse porte sur les écrits de Toni Morrison. Militante, professeure et théoricienne du Black Feminism, bell hooks est une intellectuelle reconnue et est à l’origine de plus d’une trentaine d’ouvrages qui abordent les questions de la race, du genre et de la classe notamment dans les  médias de masse.

 

CONTEXTE D’ÉCRITURE

Le Black Feminism aux Etats-Unis

Publié en 1981 au South end Press de Boston, Ne suis-je pas une femme ? est un texte fondateur du Black Feminism. Ce courant de pensée féministe est né dans les années 60 aux Etats-Unis lors des mouvements des droits civiques et féministes. Ce courant prend en compte la domination du genre sans l’écarter des autres rapports de pouvoir tels que le racisme ou le classisme.

Dans son ouvrage, bell hooks déplore le manque de considération des questions raciales dans le champ féministe et le manque de considération des questions de genre dans les études touchant à la race. Ainsi, elle apporte une analyse socio-historique précieuse dans son ouvrage en rompant avec une pratique commune dans la recherche états-unienne, celle de l’étude de l’époque esclavagiste sous le seul prisme de la race. Une pratique sexiste car elle invisibilise le vécu des femmes noires esclaves et empêche de comprendre les mécanismes d’oppression que les femmes noires états-uniennes subissent aujourd’hui.

Le titre de l’ouvrageNe-suis-je pas une femme ?,  interpelle. Il reprend ici la question de Sojourner Truth, militante abolitionniste noire et ancienne esclave, lors d’un discours au congrès des droits des femmes à Akron (Ohio) le 25 mai 1851. La militante abolitionniste répondait à un homme dans l’assemblée qui défendait l’infériorité biologique des femmes comme raison à leur non-accession au droit de vote. Un argument sans fondement pour Sojourner Truth qui rétorque que les femmes noires esclaves ont toujours autant travaillé que les hommes noirs, sans traitement de faveur. Par son discours et cette question « ne suis-je pas une femme ? », elle brise les mythes sexistes et montre la dynamique d’articulation des oppressions du genre, de la race et de classe que met en exergue bell hooks, bien avant l’apparition du terme intersectionnalité (1989). Depuis sa publication, l’ouvrage connaît une renommée importante notamment outre-atlantique.

 

La préface sur les luttes afroféministes en France

L’ouvrage de bell hooks a été traduit en français par les éditions Cambourakis en 2015, soit 34 ans après sa publication aux Etats-Unis. Il est préfacé par la réalisatrice afroféministe française, Amandine Gay. La réflexion développée par bell hooks fait grandement écho à la situation des femmes noires en France. Cependant, le contexte historique et géographique diffère, notamment sur l’expérience de la colonisation. Du côté états-unien, les descendant·e·s d’esclaves africain·e·s n’ont que très peu de connexion avec l’Afrique, à contrario les afro-descendant·e·s français·e·s sont issu·e·s d’une immigration post-coloniale propre au contexte européen. C’est pourquoi Amandine Gay privilégie le terme de femme afro-descendante. Cette terminologie permet de dépasser la question noire dans les luttes afro-féministes et penser les liens entre les différentes diasporas d’ascendance africaine (caraïbe, Amérique du sud etc.). C’est de cette sorte que le Black Feminism et l’afroféminisme se distinguent. 

La préface est précieuse car elle permet de mettre en lumière l’histoire des luttes des femmes afro-descendantes françaises. Amandine Gay nous remémore les actions pionnières de Paulette Nardal, une femme de lettres martiniquaise et 1er femme noire à étudier à la Sorbonne. En 1945, Paulette Nardal crée le Rassemblement Féminin afin de sensibiliser les femmes martiniquaises à leurs droits politiques. La militante a instigué des salons littéraires à Paris pour faire dialoguer les diasporas noires. Elle est à l’origine de la Revue du Monde Noir et est une pionnière de la négritude. 

Ainsi, la préfacière énumère les différentes actions afro-féministes françaises telles que la Coordination des femmes noires (1976-1982) qui luttait contre la misogynie, le racisme, l’impérialisme et pour les droits des femmes immigrées en France. Il y avait aussi le Mouvement des femmes noires (1978-1982) ou encore le Mouvement pour la défense des droits de la femme noire (1982-1994).

Cet éclairage historique est important car ces éléments sont absents des récits féministes communs. Amandine Gay nous explique que les mouvements afroféministes se sont épuisés et n’ont pas pu insérer le milieu académique. La principale raison évoquée est celle de la sensibilité universaliste qui structure la société française et de facto le domaine de la recherche. Cette idéologie empêche une approche inclusive des sciences humaines et sociales, et nie les enjeux liés à la race et au genre qui régissent notre histoire. Ce refus d’inclusion, c’est-à-dire de traduire les textes et de financer les études postcoloniales, de genre ou queers, limite l’accès à la connaissance. Le savoir se transmet à travers internet. Depuis 2013, l’afro-féminisme renaît en France, notamment par les voix de militant·e·s bloggers·ses, journalistes, écrivain·e · s ou de collectifs.

 

SUR LE LIVRE

Le système esclavagiste états-unien est-il un système raciste et sexiste ?

Dans un premier temps, bell hooks nous fait part d’une récurrence dans le milieu de la recherche, celle d’ériger les hommes noirs comme les plus grandes victimes de l’esclavage. Ces derniers auraient subi une démasculinisation pendant cette période qui les aurait empêchés d’assurer leur statut patriarcal au sein de la structure familiale noire. hooks déconstruit la rhétorique de la démasculinisation qui, selon elle, sous-entend qu’être relégué à un statut féminin est la pire chose qui puisse arriver à un homme. Elle met en lumière le fait que, certes, les hommes noirs ont été destitués de leur statut patriarcal, mais en aucun cas de leur masculinité qui était par ailleurs vigoureusement recherchée et exploitée par les négriers. De là, les hommes noirs esclaves avaient une valeur marchande supérieure aux femmes noires esclaves. Ils refusaient certaines tâches qu’ils jugeaient dégradantes car « féminines ». Ainsi, il y avait une réelle différenciation des rôles en fonction du sexe. Les femmes noires effectuaient les mêmes travaux que les hommes et ceux affiliés à leur genre (ménage, cuisine, etc.). Ces dernières ne pouvaient accéder à certains postes élevés dans la répartition du travail esclavagiste comme celui de   « conducteur d’esclaves ». De surcroît, les femmes noires étaient perpétuellement en position de vulnérabilité car exploitées sexuellement par les négriers blancs et les hommes noirs. Le système esclavagiste a institutionnalisé le viol comme une arme de terreur pour garantir la soumission des Noir·e·s et donc l’impérialisme blanc, un procédé qui a perduré après cette époque. Les violences avaient pour objectif de déshumaniser les femmes noires. Elles ont été systématiquement qualifiées de perverses, bestiales et masculines afin de justifier leur exploitation sexuelle. Cette pensée a été génératrice de stéréotypes persistant sur les femmes noires, l’objectification dont elles ont fait les frais nie leur vécu de la violence et du traumatisme. 

Les stéréotypes sur les femmes noires : un outil de déshumanisation ?

Dans son ouvrage, bell hooks nous présente la stratégie du recours aux stéréotypes comme outil de destruction. L’autrice prend l’exemple du stigmate de la prostituée au sujet des femmes noires. Celui-ci a persisté après leur affranchissement car l’exploitation sexuelle des femmes noires n’a jamais été reconnue comme telle, et a faussement été qualifiée de prostitution. Le mauvais emploi du terme prostitution pour qualifier ce qui relevait du viol a accordé du crédit au mythe des femmes noires bêtes sexuelles et responsables de leurs agressions.

Ainsi, les stéréotypes nourrissent les imaginaires de sorte à maintenir un certain ordre social. La propagation des stéréotypes sur les femmes noires est de l’ordre de la propagande pour bell hooks. Ils sont diffusés par les médias et ont imprégné la culture populaire. L’objectif est de maintenir les femmes noires en position de subordonnées et d’interdire leur estime personnelle. Les représentations négatives sont omniprésentes, nous comptons celle de la saphirre « femme noire en colère », de la tante jamima, de l’amazone ou encore de la mamacita. Le stéréotype est alors non seulement un outil de déshumanisation, mais aussi de contrôle social. Prenons l’exemple de la « femme noire en colère », ce stigmate irrationnalise la colère des femmes noires, invalide leurs propos et silencie leurs émotions par crainte d’être perçues comme agressives.

En parallèle, nous explique bell hooks, la féminité blanche s’érige en modèle, qualifiée comme la quintessence de la douceur, de la pureté. Les efforts des femmes noires pour atteindre cet idéal racial-sexiste sont vains et ridiculisés. Une pression à la respectabilité émerge alors auprès des femmes noires, et se développent des stéréotypes « positifs », ceux de la bonne mère de famille, de la femme dévouée qui se sacrifie pour les autres, sans désirs etc.

bell hooks soulève un processus de dévalorisation de la féminité noire et critique le manque de position sur le sujet des féministes blanches. Les militantes blanches des années 50 ont très souvent plébiscité, si ce n’est fétichisé, la supposée force des femmes noires. bell hooks indique alors qu’il y a une différence entre être forte face à l’oppression et être forte parce qu’on l’a vaincue. 

Les femmes noires à l’intersection de plusieurs oppressions ? 

A qui pensons-nous quand nous utilisons le terme « femme » ? bell hooks déconstruit la catégorie, « femme » qui renvoie systématiquement aux femmes blanches de classes moyennes et supérieures. L’appropriation du qualificatif de femme par les blanches a érigé leur vécu en une universalité. Leur racisme était hautement visible par le recours récurrent aux métaphores touchant à la condition noire pour illustrer leur oppression. Un procédé inutile soulève hooks, car il n’est en aucun cas pertinent de souligner une souffrance en la mettant en parallèle avec une autre, et enfin, la condition noire concerne aussi des personnes du genre féminin. L’autrice pose la question de la responsabilité et explique que les femmes blanches bourgoises ont été les premières bénéficiaires de l’esclavage car ce système n’a pas changé le statut de l’homme blanc, mais bien celui des femmes blanches bourgeoises qui pouvaient désormais exploiter un groupe subalterne. Cette exploitation était principalement domestique, les femmes blanches bourgeoises sont devenues les patronnes des Noires. Elles étaient donc leurs oppresseuses directes.

Ainsi, à qui pensons-nous qu’on nous utilisons le terme “Noir” ? La catégorie Noir dans l’imaginaire collectif désigne donc les hommes noirs. La misogynie des militants pour les droits civiques était prégnante dans leurs luttes. Ces derniers ont complètement exclu l’oppression sexiste par crainte qu’elle détourne la question raciale, ils ont donc ignoré leur propre sexisme. En exemple, lors des luttes pour le droit de vote, ils ont fait passer leurs revendications politiques et désirs d’accès à la citoyenneté au détriment des femmes noires (les suffragettes étaient aussi racistes et militaient pour leur accès au droit de vote en tant que femmes blanches). 

bell hooks pose également une critique féministe très intéressante qui montre les non-sens des luttes féministes non inclusives. En effet, elle est critique sur l’argument de l’émancipation des femmes par l’intégration sur le marché du travail. C’est un argument capitaliste et raciste à plusieurs égards. Tout d’abord parce que les femmes noires ont intégré le marché du travail bien avant les femmes blanches, sans jamais atteindre une émancipation économique et sociale. De plus, à leur entrée sur le marché du travail, les blanches bourgeoises ont bénéficié de meilleurs postes et salaires. Ce qui est dépeint comme une avancée féministe questionne bell hooks. S’agit-il d’une avancée féministe ou bien alors d’un renforcement du système capitaliste et impérialiste blanc ?

Quelle place ont les femmes noires dans le féminisme ?

bell hooks veille à rappeler que les femmes noires états-uniennes se sont mobilisées dans les luttes féministes et antiracistes. Elles ont continuellement lutté contre le sexisme, le racisme et le classisme. Cette perspective est essentielle pour inclure les femmes non-blanches dans les luttes. bell hooks déplore le processus d’ériger un féminisme conformiste aux injonctions capitalistes et patriarcales. L’autrice expose la nécessité de dépasser les éléments qui divisent les femmes noires et blanches. Elle démontre que ces deux groupes féminins sont mis en compétition par l’impérialisme blanc patriarcal afin de maintenir un ordre racial-sexiste. Si les femmes blanches prédisposent de certains privilèges, c’est parce que les fonctions jugées commes féminines sont attribuées à d’autres groupes sociaux dominés et souvent à la croisée de plusieurs oppressions. 

En 1980, bell hooks expliquait déjà l’urgence de faire front commun et de créer une sororité sincère. Elle se positionne et explique que souhaiter le même statut que les hommes ou encore défendre l’idée d’un privilège masculin renvoie au mythe qu’on ne peut que pleinement s’épanouir qu’en agissant comme tel et que le masculin est supérieur au féminin. Selon elle, il est important de créer un mouvement féministe inclusif à l’égard des différentes voix et expériences des femmes. 

L’autrice expose à la fin de son ouvrage la situation complexe des femmes noires à rejoindre les luttes féministes majoritairement blanches. En effet, elles ont été mobilisées entre les années 1920 et 1960 dans la libération des Noir·e·s à leur accès à la pleine citoyenneté. Aucune place n’était permise à la lutte pour l’égalité des sexes, il y avait une injonction à conserver une position conservatrice pour conformer au patriarcat nationaliste blanc étatsunien. Le féminisme était perçu alors comme trop radical, les féministes noires se sont tues et ont privilégié la race. bell hooks ajoute que malgré une volonté de pleinement investir les luttes féministes, il y a une charge qui incombe aux femmes noires, celle du racisme des militantes féministes blanches, du sexisme des militants noirs, et du racisme et sexisme des hommes blancs.

Amandine LEGLISE

 

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