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Mon âme est double, elle miroite à travers mes deux yeux. Un œil d’Occident, un œil d’Asie. Ces deux la font la paire. Inséparables, ils sont à ma personne ce qu’un nez est à un parfum, essentiels.
Les Philippines forment une terre éparpillée, qui flotte sur l’eau, chaloupée d’un côté par la mer de Célèbes et de l’autre par le bel et grand Océan Pacifique. Sur cette terre, près de cette mer, est née ma mère. Une enfance de liberté, une culture de la famille, une éducation qui laisse à désirer, un climat humide, des sorcières de village ; bref, un quotidien bien différent du petit garçon français qui grandit en Sarthe française. Un terroir français dans lequel on ne jure que par la rillette.
Pour lui, la maison était en pierre.
Pour lui, on mange avec des couverts.
Pour lui, le nez est pointu.
Pour lui, il faut l’avoir lu.
Par la force de l’amour, ces deux hémisphères se sont un jour rejoints, et j’en suis l’équateur. Une petite fille qu’on dit « métissée ». Une peau dont la couleur varie en fonction des pays. Trop claire pour être natale en Asie, mais trop foncée pour être une occidentale de lignée pure. Quel bonheur d’être multicolore, mais quelle complexité.
La France est mon pays du quotidien, j’y suis née, j’y ai grandi, j’y vis. Je ne saurais expliquer l’amour que j’ai pour cette France qui m’est encore méconnue. C’est un joli plat dans lequel on trouve des plaines, des montagnes, des ruisseaux et du béton. On y ajoute quelques épices, un peu de safran, un riz blanc, de la banane, du couscous, et enfin un verre de vin rouge et une tranche de camembert. Et je déguste ce plat depuis ma tendre enfance. Mes papilles se sont affutées, mon odorat aiguisé, mon esprit délecté. Amoureuse de cette diversité, j’aime ma mamie Yvette comme mon papi Roberto, j’aime mon amie Camille comme mon ami Ilyes. Bien avant de regarder leur couleur, j’aime leurs rires et leurs sourires.
On dit loin des yeux, loin du cœur. Je n’y crois pas. A 11 000 km à vol d’oiseau, il y a le revers de la médaille. Le pays dont je ne foule pas la terre chaque lundi, mais qui tout de même rythme ma vie. Je ne peux pas m’empêcher de manger mon riz à la main. « Oui, il y a une technique », lui ai-je dit, « non je ne suis pas une sauvage », lui ai-je répété.
Je parle ici de mon expérience en France, mais ne pensez pas qu’aux Philippines les choses sont différentes. La bas aussi j’ai du justifier ma volonté de mettre un short au dessus des genoux, la bas aussi j’ai du avoir honte de m’épiler, la bas aussi j’ai du lutter contre l’amour parce que de toute façon c’est trop compliqué. Là-bas aussi on m’a demandé si mes cheveux étaient vrais, si j’étais handicapée car je portais des lunettes.
A tous ceux qui m’ont surnommé « ching chong », à tous ceux qui m’ont dit de ne pas rire car on ne voyait plus mes yeux, qui se sont étonnés de mes poils sur les bras, je ne vous en veux pas.
Grâce à vous, je réalise encore mieux que je suis différente, que je suis riche de ma diversité. Je vous laisse à vos blagues répétitives, moi je m’empare de mes chances, moi je saisis la clé du mélange.
Mais je vous en prie, ne restez pas à la porte, entrez.
Fanny DUBOIS FLORES
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