A la piscine

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Cet été-là, j’avais 13 ans. C’était un de ces étés d’adolescence dont je n’aurais dû garder que de merveilleux souvenirs de jeux insouciants et d’interminables bavardages entre copines. Tous les jours, je rentrais de la piscine épuisée de fous rires, pour passer une douce soirée de vacances entre mes parents et mes frères. Tous les jours, jusqu’à ce jour-là.


Nous avons souhaité privilégier le texte original en anglais mais une traduction est disponible à la fin du texte anglais.

I was 13 years old. Having a carefree life with all the ingredients for a wonderful future. My biggest concerns in life were the fights with my brothers about the remote control and what presents to ask for my birthday. I loved to dance, to swim and to chat with my friends about our crushes. I also loved horses, my mother’s pancakes and discovering my new life as a freshman in high-school.

 

That summer, just like every other summer, my parents rented a cottage somewhere abroad for a week. As my brothers were glued to the tv to watch the Tour de France, I had to find entertainment myself. Soon I made friends in the swimming pool with girls my age. Every day we met for splashing and playing in the pool. Just like that day. We played the entire day: jumping in the water, sliding down the pool slide and all the other things thirteen year old girls do. Tired of all the jumps I decided to go back to the cottage late in the afternoon. While putting my flowery dress over my bikini, the lifeguard came up to me and told me he found something the other day of which he thought it was mine. I trustfully walked with him to his office to see what it was. Instead of showing me what he ‘had found’, the door closed and the atmosphere in the small room became very intimidating. When I tried to move closer to the door to get out, he grabbed me and threw me on the ground. I screamed, beated and kicked but it just made him stronger and more aggressive. I was chanceless and stopped fighting. From there, my memory is black, as if I passed out. The next thing I can remember is him threatening me not to tell anyone. The only words he has said. I made my way to the cottage. Not knowing what to do, what to think or what to feel. My family went on a tour and wouldn’t be home for a while. I turned on the shower and sat under the water beam for what seemed hours. Every single drop of water brought new tears, new pain and new thoughts. I was frightened but calm at the same time. An overwhelming sense of guilt and loneliness came over me. Scared for the consequences, I finally decided to give in to his threats; to dry my tears and throw away my bloodied flowery dress and bikini. And by turning of the shower, I buried what had happened for the years that would follow.

 

At the age of 17 I met my first love. I felt in ways I had never felt before. These new feelings connected to the memories I had suppressed during years and I just blurted it all out one day. He told me he already thought so and just let me talk and cry as much as needed. My world collapsed and the processing started. I clung desperately to distraction, to friends, and study but I hit rock bottom anyways. I was terrified of every glance of a man, the idea of wearing dresses or swimsuits paralysed me, concentration made place for horrible flashbacks and every unexpected touch made me jump and caused aggressive reflexes. Nightmares made me wake up frightened to fall asleep again, they took away my dreams. Until my early twenties I have blamed myself every single day for not haven screamed, beaten or kicked harder, for having stopped fighting and for having passed out. With peaks and valleys I tried to move on and repair what the years of silence had done to me. Bit by bit I trusted more people around me with my story but I have always been too scared to get proper help. Talking, crying and writing it off is my therapy. It took a while but the people around me made me feel beloved again, as if I am actually worth something. This gradually gave me the feeling that one day I will be completely cured. Because “je ne suis pas ma blessure…

Today I swim again. With my head held high I pass a lifeguard’s office every week, on my way to enjoying my freedom in the water. I am also a masters student, able to concentrate on my work. The nightmares have changed into dreams. Dreams about my future as an independent woman, and who knows, one day a mother. I keep on talking and writing, and surrounding myself with the people that make me feel valuable, working on the ultimate goal of someday trusting a man. The ingredients for a wonderful future are visible again and the possession of the remote control has fortunately come back to being one of my biggest concerns in life.

 

 

J’avais 13 ans. Une vie insouciante, et tous les ingrédients pour un futur merveilleux. Dans la vie, mes plus grandes préoccupations étaient les disputes avec mes frères pour avoir la télécommande, et quels cadeaux demander pour mon anniversaire. J’aimais danser, nager, et discuter avec mes amies des garçons qui nous plaisaient. J’aimais aussi les chevaux, les pancakes de ma mère, et découvrir ma vie de future lycéenne.

 

Cet été-là, comme tous les étés, mes parents avaient loué une petite maison pour une semaine de vacances. Comme mes frères étaient collé à la télé devant le Tour de France, je devais m’occuper toute seule. Je me suis très vite liée d’amitié avec des filles de mon âge que j’avais rencontrées à la piscine. Tous les jours, on se retrouvait pour plonger et jouer dans l’eau. Tous les jours, comme ce jour-là. Nous avions passé toute la journée à nous amuser : sauter dans l’eau, glisser sur le toboggan de la piscine, et toutes les autres choses que font les filles de 13 ans. Fatiguée de plonger, je décidai de rentrer à la maison tard dans l’après-midi. Tandis que j’enfilais ma robe à fleur, le maître-nageur vint vers moi et me dit qu’il avait trouvé quelque chose l’autre jour, dont il pensait que c’était à moi. En toute confiance, je le suivis jusqu’à son bureau pour voir de quoi il s’agissait. Il ne me montra pas « ce qu’il avait trouvé » ; la porte se ferma, et l’atmosphère de la petite pièce devint très oppressante. Lorsque j’essayais de me rapprocher de la porte pour m’enfuir, il me saisit et me jeta par terre. Je criais, je me débattais, je donnais des coups de pieds, mais cela le rendait juste plus fort et plus agressif. Je n’avais aucune chance, et j’ai arrêté de me débattre. A partir de ce moment, j’ai un trou noir, comme si je m’étais évanouie. Après, la seule chose dont je me souvienne, c’est lui qui me menace pour que je ne le dise à personne. Ce sont les seuls mots qu’il ait prononcés. Je suis retournée à la maison de vacances. Sans savoir quoi faire, quoi ressentir, quoi penser. Ma famille était partie en promenade et allait rentrer tard. J’ai ouvert l’eau de la douche et je me suis assise sous le jet pendant ce qui m’a semblé des heures. Avec chaque goutte d’eau arrivaient de nouvelles larmes, de nouvelles douleurs, de nouvelles pensées. J’étais effrayée et calme en même temps. Un irrépressible sentiment de culpabilité et de solitude s’empara de moi. Par peur des conséquences, je décidai finalement de céder à ses menaces. De sécher mes larmes. De jeter ma robe à fleurs et mon bikini tachés de sang.

 

A l’âge de 17 ans, j’ai rencontré mon premier amour. Je me suis sentie comme je ne m’étais jamais sentie. Ces nouveaux sentiments firent remonter des souvenirs que j’avais refoulés pendant des années, et tout a refait surface brusquement. Mon petit ami m’a dit qu’il s’en était douté et me laissa parler et pleurer autant que j’en avais besoin. Mon monde s’est écroulé, et le processus a pu commencer. Je m’accrochais désespérément aux distractions, aux amis, aux études, mais je retombais, quoique je fasse. J’étais terrifiée par le moindre regard masculin, l’idée de porter une robe à fleurs ou un maillot de bain me paralysait, la concentration laissa place à d’horribles flashbacks et chaque contact inattendu me faisait sursauter et avoir des réflexes agressifs. Des cauchemars me réveillaient en sursaut et j’avais peur de me rendormir, ils chassèrent mes rêves. Jusqu’au début de ma vingtaine, je m’en suis voulue tous les jours de ne pas avoir crié, de ne pas m’être débattue plus fort, ou de ne pas avoir donné des coups de pieds plus violents, d’avoir cessé de me débattre et de m’être évanouie. Avec des hauts et des bas, j’ai tenté d’aller de l’avant et de reconstruire ce que des années de silence avaient détruit en moi. Pierre après pierre. J’ai pu trouver de nouvelles personnes en qui j’avais suffisamment confiance pour leur confier mon histoire, mais j’ai toujours été trop angoissée pour aller chercher l’aide appropriée. Parler, pleurer, et écrire cela, c’est ma thérapie. Cela a pris du temps, mais les gens autour de moi m’ont fait me sentir aimée, à nouveau, et m’ont montré que j’avais de la valeur. Cela m’a progressivement donné l’impression qu’un jour, je serais complètement guérie. Parce que je ne suis pas ma blessure.

 

Aujourd’hui, j’ai recommencé à nager. Je passe devant un bureau de maître-nageur, la tête haute, chaque semaine, quand je vais profiter de ma liberté, dans l’eau. Je suis aussi une étudiante en master, capable de me concentrer sur mon travail. Mes cauchemars ont laissé place à des rêves. Des rêves où je me vois en femme indépendante, et qui sait, un jour, en maman. Je continue de parler, d’écrire, et de m’entourer de personnes qui me font ressentir ma valeur, avec l’objectif ultime de faire un jour confiance à un homme. Tous les ingrédients pour un futur merveilleux sont à nouveau là, et m’emparer de la télécommande est redevenu l’une de mes préoccupations principales dans la vie.

 

A noter : si vous avez vous aussi envie de témoigner contactez nous