La résilience des Nigérianes contre les proxénètes

Les Nigérianes, cible principale de la traite humaine, se retrouvent prostituées de force en Europe. Contraintes au silence par leur proxénète, leur seul échappatoire est de rompre la promesse faite au Ju-Ju avant leur voyage et se rapprocher des structures associatives, capables de leur venir en aide.

Difficilement estimable, le nombre de victimes de la traite humaine est pourtant en constante augmentation. Selon le Rapport mondial de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) sur la traite des êtres humains publié en janvier dernier, environ 50 000 personnes en ont été victimes en 2018.   

Cet esclavage moderne implique le recrutement, le transport au-delà des frontières ainsi que le logement de la victime à des fins sexuelles ou de travail forcé. L’exploitation sexuelle est la forme la plus présente et la plus signalée dans l’Union Européenne depuis 2008 et concerne à 92 % les femmes et les filles. 

98 % d’entre elles viennent du Nigéria

Solonika Lee est travailleuse sociale pour « Aux captifs la libération », une association humanitaire qui accompagne chaque année environ 100 000 personnes en situation de précarité et de prostitution forcée. 98 % d’entre elles sont Nigérianes. 

La structure possède 7 antennes, chacune répartie dans Paris. Solonika travaille principalement sur le secteur des maréchaux nords, allant de Porte de Clichy à Porte de la Chapelle en passant par Château Rouge. Son travail consiste à effectuer des maraudes, à repérer les personnes les plus enclines à discuter et à leur proposer les services mis en place par l’association. Disposant d’un large panel d’activités telles que des cours de langue, des sorties culturelles, de l’art thérapie mais aussi une permanence, elle permet à ces femmes de se réinsérer dans la société et d’échapper à l’emprise de leur bourreau.

La moitié des victimes identifiées a entre 18 et 34 ans. Lorsqu’elles entament les démarches pour retrouver leur liberté, elles ont en moyenne 26 ans mais parmi elles, il y a aussi des femmes dites « tradi ». Ces femmes, un peu plus âgées que la moyenne, présentes sur le territoire depuis plusieurs années, régularisées avec une vie de famille, sont les plus difficiles à aider. Résignées à osciller entre leur vie de maman et leur vie de prostituée, elles ne voient pas ce que les associations pourraient leur apporter de plus.

La prostitution forcée comme monnaie d’échange 

Une promesse d’emploi, quelques mots doux et le tour est joué pour la Madam (aussi appelée Mama), médiatrice des proxénètes. Elle-même victime de ces derniers, elle recrute d’autres femmes et les accueille en Europe afin de régler plus rapidement sa propre dette. « C’est un cercle vicieux » s’indigne Solonika.

Le voyage coûtera la modique somme de 35 000 ₦ (Naira), soit l’équivalent de 69 €. Le piège est là. Au cours d’un rite, la Madam et la fille confectionnent un Ju-Ju, objet spirituel venant d’Afrique de l’Ouest souvent associé à la poupée vaudou, qui deviendra le symbole du contrat liant l’engagement de la fille à la Mama. La tradition veut que si une quelconque rébellion de la part des victimes naît, si elles ne règlent pas leurs dettes, ne rapportent pas assez d’argent, si elles refusent de travailler ou tentent de s’émanciper, l’esprit malin du Ju-Ju les poursuivra tout au long de leur vie, les menant à la maladie, à la folie et parfois à la mort. 

C’est une fois arrivées en Libye que le calvaire commence. « Elles sont violées mais elles ne se rendent pas compte encore qu’elles vont devoir se prostituer. Elles se disent que c’est un mauvais moment à passer et voilà. » Après un énième changement de passeur, les victimes arrivent en Europe où 35 000 € leur sont demandés. Le piège se referme sur ces dernières qui se rendent compte de la supercherie. Les menaces psychologiques arrivent alors à leur paroxysme. La promesse faite au Ju-Ju, le risque qu’encourt leurs familles restées au Nigéria leur sont rappelées. La seule manière d’y échapper est de se prostituer afin de rembourser cette dette. 

Les autorités nigérianes ont tenté, en vain, de dissoudre ces activités. En 2016, le Roi Ewuare II profère des menaces envers les exploitants de ces femmes. Dans un discours, il demande aux proxénètes de les libérer psychologiquement et d’arrêter toute traite humaine, sous peine que l’esprit du Ju-Ju se retourne contre eux. Pour certains la menace fonctionne mais pour beaucoup d’autres la croyance s’est estompée, leur permettant de continuer leur activité en toute tranquillité.

« Elles ont tout le temps le sourire ! »

Marquées par la violence d’un parcours migratoire et forcées de survivre dans un environnement qu’elles ne maîtrisent pas, elles ne peuvent faiblir. Les troubles post-traumatiques de ces femmes se manifestent à des moments précis, lorsqu’elles voient leurs demandes administratives rejetées ou encore lorsqu’elles se sentent seules. C’est finalement lorsqu’elles voient l’espoir d’un monde meilleur disparaître, qu’elles laissent entrevoir leurs failles.

Mais malgré ces quelques moments difficiles, « elles ont tout le temps le sourire ! Et quand parfois on est énervé, c’est elles qui nous disent « Mais pourquoi ? Il faut aller bien ! »» S’amuse Solonika Lee. 

« Aux captifs la libération »  est une des seules associations où les victimes n’ont pas à dénoncer les trafiquants, à assumer leur statut. Avant d’être des prostituées, elles sont considérées comme des êtres humains et c’est ce qui fait le succès de la structure.

« Si on avait accès à un plus large panel d’hébergements on aurait pu aider beaucoup plus de femmes. Et il nous manque des travailleurs sociaux, on est vraiment pas beaucoup. Dès fois on doit dire « non » à des femmes et c’est pas facile. » déplore la jeune femme. 

Présents aux quatre coins du monde, les auteurs de la traite humaine se font discret et profitent de leur activité criminelle en toute impunité, laissant derrière eux des êtres humains détruits et remplis de solitude. 

Sofia ABECHIR pour l’association LOBA