« RECLAIM : recueil de textes écoféministes »

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« RECLAIM : recueil de textes écoféministes »

Emilie Hache

UN MOT SUR L’AUTRICE

Emilie Hache est philosophe, autrice et maîtresse de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre. Elle est spécialisée en philosophie pragmatique et en écologie politique. Ses intérêts de recherche s’articulent autour de l’écoféminisme et de la science-fiction. 

En 2011, elle publie son premier essai Ce à qui nous tenons. Proposition pour une écologie pragmatique, s’ensuit deux anthologies : Écologie politique. Cosmos, communautés, milieux (2012), De l’univers clos au monde infini (2014). Elle est aujourd’hui une des figures de l’écoféminisme en France. En 2015, elle a préfacé Rêver l’obscur. Femmes, magie et politique de la théoricienne, sorcière écoféministe Starhawk aux éditions Cambourakis. En 2016, l’ouvrage Reclaim d’Émilie Hache est publié dans la même maison d’édition. Ce livre est une anthologie de textes écoféministes traduits en français, ce qui est une première. 

 

 

SUR L’OUVRAGE

La (re)découverte d’un mouvement radical

Reclaim est un ouvrage qui nous permet de (re)découvrir le mouvement écoféministe et d’une certaine manière de le faire revivre en France. En effet, c’est en 1974, que le terme a été verbalisé par la philosophe Françoise d’Eaubonne dans son ouvrage : Le féminisme ou la mort. La théoricienne et militante soulignait que les hommes exploitent le corps des femmes en matière de reproduction, de la même façon qu’ils exploitent les ressources naturelles. Ici réside le postulat des écoféministes, c’est-à-dire qu’il existe un lien entre la domination de la nature et des femmes.

Émilie Hache nous présente une quinzaine de textes écoféministes produits entre les années 70 et 90 qui reflètent l’âge d’or de l’écoféminisme, du fait d’un contexte politique, économique et social global très perturbé par les nombreux mouvements sociaux au Nord comme au Sud. À savoir, la course à l’armement (contexte guerre froide), les déforestations massives, l’accroissement des famines ou encore le rapport alarmant du club de Rome sur les limites à la croissance. 

Le recueil d’Émilie Hache rassemble des textes étatsuniens (à l’exception d’un chapitre sur le mouvement indien Chipko représenté par Vandana Shiva). Il est vrai que c’est dans cette zone géographique que le mouvement s’est développé de manière fulgurante contrairement en France – malgré l’impulsion de Françoise d’Eaubonne.

Reclaim nous fait découvrir différents types de textes théoriques, poétiques, fictifs ou encore essayistes de diverses autrices/militantes. L’ouvrage est une bonne introduction aux pensées écoféministes. Par ce recueil, Émilie Hache montre que l’écoféminisme est avant tout, des luttes variées avant d’être une philosophie. En effet, ce constat est concret car il s’illustre historiquement par des mobilisations de femmes contre le nucléaire, contre les déchets toxiques ou encore à travers l’organisation de communautés lesbiennes séparatistes en Oregon.

Ainsi, cet ouvrage met en avant un mouvement hétéroclite et nuancé. On y retrouve à la fois, des approches sociales, socialistes, comme spirituelles de l’écoféminisme. Toutes ces perspectives mettent en avant la défense du vivant, et rappellent que la crise écologique est intrinsèquement liée à la colonisation, au patriarcat et au capitalisme (tout ça à la fois et rien n’est indissociable !).

SUR LE LIVRE

Le livre est une anthologie, nous verrons ici quelques thématiques abordées dans l’ouvrage.

Le point de départ : le Women’s Pentagon Action : des pratiques écoféministes originales et transformatives

C’est à la suite de l’explosion du réacteur nucléaire à Three Mile Island (1979) en Pennsylvanie que des militantes antinucléaires, pacifistes et féministes se réunissent et fondent la Women and Life on Earth. Pendant une décennie, les activistes se sont mobilisées pour commémorer et contester les politiques nucléaires, amplifiées par un contexte de course à l’armement entre les blocs de l’Est et l’Ouest. L’action la plus emblématique est la « Women’s Pentagon Action » du 17 novembre 1980. Cette mobilisation a rassemblé des milliers de femmes devant le plus grand bâtiment administratif au monde, le Pentagone. La philosophe Émilie Hache qualifie les faits de « spectaculaires » dans Reclaim. En effet, on apprend que les activistes écoféministes ont usé de modes d’actions inhabituels : munies de mascottes, de poupées de carnaval, elles mettaient en scène leurs émotions, en pleurant, dansant autour du Pentagone tout en bloquant les entrées du bâtiment avec de la laine. À la suite de cette première action, le Women’s Pentagon Action rédige une Déclaration d’Unité qui pose les bases de l’écoféminisme. Cette déclaration met en évidence le lien entre la peur des femmes face à la destruction de la terre mais aussi d’être violées. C’est le texte d’Ynestra King (militante écoféministe) intitulé “Si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution” dans Reclaim qui soulève ce lien. 

Dans son texte, la militante dénonce un climat de misogynie important favorable à une culture techniciste et viriliste mortifère qui : “Valorise une culture de la guerre dans laquelle les femmes peuvent être violées, insultées, agressées, aussi bien chez elles que dans la rue ; c’est la même culture qui entretient un rapport de destruction à l’égard de la nature et de la haine envers les femmes, c’est donc cette culture dans son ensemble qu’il s’agit de changer” (p20). Le Pentagone est l’illustration parfaite de cette hégémonie masculine toxique. 

C’est dans cet ordre d’idée que les écoféministes pensent un renouveau politique. Elles revendiquent la nécessité “d’opposer une culture politique de la vie à une culture politique de la mort” (p.106) et d’instaurer “un amour de la vie au sein de l’arène publique” (p.109). Cette revendication est frappante notamment quand elle prend forme autour de structures productrices de violences patriarcales, nucléaires et militaires. 

Le texte de Ynestra King, nous apprend que c’est par l’art et la non-violence et non pas par la force et le machinisme que les écoféministes luttent pour un changement social, politique et environnemental. Par conséquent, cette originalité des pratiques a pour intérêt de mettre en lumière une critique du pouvoir politique dans sa substance même et la nécessité urgente de changer de mode de vie.

La critique du dualisme nature et  culture pour penser la double oppression

Reclaim rend compte d’une des critiques des écoféministes, soit le dualisme traditionnel entre la nature et la culture. Les militantes affirment qu’il y a des violences communes, ce qui sous-entend que la nature et les femmes subissent les mêmes processus de dévalorisation. 

On découvre dans le recueil un texte intitulé “exploiter le ventre de la terre” de la philosophe et historienne Carolyn Merchant, issus de son ouvrage The death of nature (1980). Cette dernière adopte une analyse historique du rapport de la nature du point de vue des femmes. 

Tout d’abord, elle explique qu’à partir du XVII -ème siècle : 

  • Il y a un passage d’une vision organiciste de la nature – qui sacralisait la terre et la considérait comme une Mère nourricière, autrement dit, on ne pouvait lui porter atteinte : “ On ne poignarde pas aisément sa mère, ni ne fouille ses entrailles pour y chercher de l’or, ni ne mutile son corps, quand bien même le commerce de l’exploitation minière le requerrait bientôt” (p131). Le féminin était en permanence rattaché à la nature. Par exemple, il était attribué à la terre des propriétés biologiques considérées comme féminines, “les minéraux et métaux mûrissaient dans l’utérus de la Terre-Mère, les mines étaient comparées à son vagin” (p131). 
  • A une vision plus négative de la nature, du fait de l’arrivée du technicisme. La terre était vue comme mystérieuse, il fallait donc l’explorer ainsi la soumettre. Carolyn Merchant dépeint ce changement de paradigme, en relevant les propos du philosophe Francis Bacon au XVII -ème siècle, qui encourageait à assujettir la terre pour les bienfaits de la science. La nature devait alors être “réduite en servitude et traitée comme esclave”, “mise sous contrainte et modelée par les arts mécaniques” (p. 154). 

Dans son analyse, Carolyn Merchant soulève également l’importance du langage, la terre est constamment assimilée au genre féminin. Un féminin lié à la passivité, à la soumission, à l’obscurité etc. Une analyse partagée par Émilie Hache qui en introduction explique que le dualisme nature/culture met d’un côté “l’impureté, le sensible, l’irrationnel, la sexualité, les femmes, la nature ; de l’autre la raison, l’esprit, la culture, la pureté, la transcendance, le sacré, les hommes”. (p.20). 

Par conséquent, cette rhétorique hiérarchise les individus. Les personnes subissant une féminisation sont factuellement subordonnées, elles sont mises du côté de la nature. Il faut inclure ici, les personnes racisées, les femmes, les personnes précaires, les minorités de genre, les animaux etc. 

Par ailleurs, Émilie Hache nous apprend que la critique du dualisme nature – culture chez les écoféministes diffère des mouvements féministes classiques qui rejettent la proximité à la nature, car source d’oppression. Les écoféministes ne sont pas dans ce registre. Pour elles, le problème ne réside pas dans la nature, mais dans le processus d’infériorisation mis en place. De ce fait, rejeter la proximité des femmes à la nature, certes les émancipe, mais la dévalorisation de la nature persiste, ce qui est inenvisageable pour les écoféministes. En introduction de l’ouvrage, Émilie Hache insiste sur ce point, elle aborde une nécessité de détruire ce dualisme, ce qui passe par une réappropriation de la nature, plus précisément de revaloriser ce qui a été longtemps déconsidéré. 

Reclaim

On comprend en lisant l’ouvrage (rien que par son titre) qu’une des solutions des écoféministes pour une émancipation des femmes est de se réapproprier, de récupérer un pouvoir d’agir. Ainsi, il convient de “reclaim” les stigmates liés à la féminité, comme l’explique Émilie Hache, c’est-à-dire de revaloriser ce qui a été longtemps méprisé. Il faut donc “réhabiliter et se réapproprier” (p.39) ce qui a été détruit. Dans cette démarche, la place du corps est importante pour les écoféministes. En effet, pour elles, les corps assimilés à la féminité sont attaqués, ils ont été longuement tabouisés au sujet des menstruations, des désirs sexuels etc, il est donc nécessaire de “reclaim” tout cela pour une meilleure libération. 

Par ailleurs, dans son introduction, Émilie Hache prend soin d’écarter toutes critiques essentialistes. Selon elle, il ne s’agit pas d’admettre des déterminismes, d’imposer des injonctions à la maternité, d’édicter des identités de genre ou de sexes etc., mais “la revendication et l’affirmation d’une puissance d’agir et de penser sensible” (p40) . Le fait de reclaim est défendu comme une nécessité pour soustraire les corps non hégémoniques de la violence patriarcale.

Des luttes plurielles – genre/race/classe

Dans l’anthologie, nous découvrons une variété de mobilisations environnementales portées par des femmes, qui ne se sont pas forcément déclarées de l’écoféminisme mais y sont assimilées. Par exemple, on découvre les luttes contre les déchets toxiques dans les quartiers populaires étatsuniens. Cet activisme est mis en avant dans Reclaim par le texte de la sociologue Celene Krauss dans un chapitre intitulé “Des bonnes femmes hystériques : mobilisations environnementales populaires féminines”. 

Celene Krauss a effectué une étude sur ces actions issues du mouvement de justice environnementale qui émane des luttes pour les droits civiques des Noir-e-s et des mouvements ouvriers. La sociologue compare au sein du mouvement populaire (sur les déchets) les activismes des femmes blanches et racisées

Il faut mentionner que c’est en tant que mères que ces femmes se mobilisent du fait de la division genrée du travail qui cantonne les femmes à la sphère domestique. Elles ont donc la charge de l’éducation, de la santé des enfants et de la famille et sont donc plus susceptibles d’observer les nuisances de la pollution toxique (cancer, malformation, fausses couches à répétition …). 

Krauss remarque dans cette lutte que les femmes blanches dénoncent le sexisme et classisme de leur gouvernement dans la gestion des politiques publiques en matière de déchets. Elles sont très souvent qualifiées de “femmes au foyer hystérique” lors des débats publics. Une appellation qui a pour but de rappeler leur position sociale. Les questions de classe sont donc privilégiées par ces dernières qui avaient foi en leur gouvernement supposé valoriser les valeurs familiales. 

Une confiance absente chez les femmes racisées (noires et natives américaines), très peu surprises de la présence de déchets toxiques sur leur espace de vie, qui pour elles, provient d’un racisme environnemental. 

Effectivement, on apprend que les zones habitées par les populations racisées sont foncièrement moins chères, ce qui est très avantageux pour les entreprises polluantes (p48). Émilie Hache en préambule, souligne que dans la construction environnementale américaine, la nature est blanche, c’est l’immaculé. Elle ne pouvait donc intégrer les populations noires, du fait d’une corrélation raciste construite autour de la noirceur, qualifiée de malsaine et sale (p50). Dans le recueil, il est rappelé que cela est du fait de l’histoire de la traite des Noir-e-s et de la colonisation du continent Africain qui voyait en ces terres et populations, ce qui relevait du sauvage et du non-civilisé. Il en va de même pour les populations natives américaines qui habitent aussi ces quartiers pollués. Suite à la colonisation de l’Amérique, ces dernières ont été complètement effacées du territoire, physiquement et aussi historiquement. Il est encore question de la “ découverte de l’Amérique” dans la littérature scientifique alors que le continent était déjà habité avant l’arrivée des colons. (p52) 

Ce texte sur les luttes contre les déchets toxiques permet d’articuler les questions de genre, classe et race et de souligner que les individus ne sont pas égaux face aux catastrophes environnementales et sanitaires.

Amandine LEGLISE

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