Yara Al Hasbani – La danse, entre intime et politique

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Yara Al Hasbani, Atelier des artistes en exil ©ClémentFéat

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Au départ de cet article, il y a la volonté de parler des violences sexuelles et sexistes, thème central chez LOBA. Depuis 2008, LOBA sensibilise, au travers de spectacles, d’ateliers et de conférences, aux violences sexuelles et sexistes et à leurs impacts. L’engagement et la lutte contre ces violences est au cœur de l’ADN de LOBA. Il me semblait cependant important de traiter de ses violences sous l’angle de l’engagement et notamment de l’engagement par la danse. Car face à de telles atrocités, on est souvent tenté de glisser vers le désespoir, le défaitisme voire le fatalisme. Or faire le choix de l’engagement, c’est faire le choix de la lutte. C’est choisir de continuer d’agir et d’avancer malgré tout. Et dans cette lutte, l’art est également une arme précieuse et puissante. Chez LOBA, cet art, c’est la danse. La danse est un outil qui nous permet tout à la fois de sensibiliser à ces violences, en donnant à voir et à comprendre, et de “réparer” les victimes de ces violences. 


L’histoire et le parcours de Yara Al Hasbani illustre ce double impact de la danse. Réfugiée syrienne, Yara Al Hasbani s’est emparée de la danse comme d’un moyen pour se reconstruire, pour résister puis pour sensibiliser et donner à voir. Au-delà des catégories de migrantes et de violences auxquelles on la rapporte, son parcours donne à voir une capacité de résilience, une persévérance et une force, qui passe par son engagement et par sa danse. 

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Yara Al Hasbani est une danseuse et chorégraphe de danse contemporaine syrienne. Réfugiée en France depuis 2015, elle ancre son engagement contre le régime de Bachar Al-Assad dans sa danse. Pour raconter son pays, son enfance, les violences sous le régime de Bachar Al Assad, son exil et son arrivée en France, la danse est son langage. Un langage qui passe par le corps et qui est tout à la fois profondément intime et politique.

Née à Damas en 1993, Yara Al Hasbani débute la danse à l’âge de 11 ans. Elle est dans un premier temps formée à la danse classique. Après le bac, elle se tourne vers le contemporain, une discipline qui lui permet d’exprimer avec plus de liberté ses émotions. C’est pour elle un “cri de liberté du corps” qui lui donne la “possibilité de bouger autrement”. La danse est pour Yara Al Hasbani son moyen d’expression, elle est un langage par lequel elle exprime ses émotions et extériorise ses sentiments. Encouragée par son père, elle intègre après le bac l’Institut Supérieur d’Art Dramatique de Damas où elle étudie le ballet et la danse contemporaine.

“Cette soif de liberté, c’est l’histoire de tous les syriens”

L’éclatement de la révolution vient cependant marquer un coup d’arrêt dans le parcours de la jeune fille. Dans les premiers mois de la révolution, Yara Al Hasbani prend part aux manifestations, accompagnée de sa famille et notamment de son père. Comme beaucoup d’artistes, cet engagement l’amène dans un premier temps à mettre de côté son art. Au début de la révolution syrienne, explique-t-elle, beaucoup considèrent  que l’art et la politique doivent rester séparés. 

 

La révolution rend cependant le corps des syriens et des syriennes plus présent que jamais. A la suite de la disparition des enfants de Deraa et des menaces proférées par le régime contre les mères de ses enfants, la colère des syrien·ne·s éclate. Cette colère devient alors un cri collectif qui résonne dans les rues du pays et qui prend corps au sein de cortèges rassemblant des milliers de syrien·nes. Les chants et danses rythment alors les manifestations. 

 

«Bachar tu n’es pas des nôtres.

Prends ton frère Maher, et lâche-nous

Tu as perdu toute légitimité, allez dégage Bachar

Bachar tu es un menteur, maudit soit ton discours

La liberté qui frappe à la porte

Maudit soit Bachar et tous ceux qui le soutiennent

Maher, lâche, agent des Américains, le peuple syrien n’acceptera pas d’être humilié

Bachar, sois maudit, toi et ton parti Baas

Allez dégage Bachar

 

Cependant cette période de “grâce révolutionnaire” ne dure pas. Rapidement cet élan de liberté laisse la place à une répression sévère du régime. Aux corps, libres, dansant, chantant, joyeux, révoltés, se substituent alors des corps emprisonnés, contrôlés, détruits, réduits aux silences. 

 

La violence comme politique du régime de Bachar Al Assad

 

Au sein du régime de Bachar Al Assad, la violence est un élément central. Cette violence prend comme support le corps des syrien·nes. Les emprisonnements, les viols, les actes de torture et les enlèvements sont perpétrés dans les prisons, dans les rues, aux check-points et chez les habitants. La violence devient omniprésente. Opérée sur les corps, elle instille la peur au plus proche de l’individu, dans son intimité et sur sa chair. Cela assure ainsi au régime, par le contrôle des corps individuels, le contrôle du corps social syrien. 

 

Dans ce contexte, les opposants aux régimes, les intellectuels et les artistes, porteurs de ces cris de liberté et de protestation, deviennent la cible du régime et de sa violence. La famille de Yara Al Hasbani, investie durant les premiers temps de la révolution dans la lutte contre le régime, subit de plein fouet cette répression.

 

En 2013, le père de Yara Al Hasbani, engagé dans le soutien et l’accueil de réfugiés syrien·ne·s ayant fui la guerre, est arrêté et torturé. Alors en étude à l’Institut des Arts Dramatiques de Damas, Yara Al Hasbani se saisit de la danse pour s’exprimer et extérioriser sa souffrance et sa colère. Elle réalise dans le cadre de ses études, des productions artistiques, qui se verront cependant refusées. Lors de sa seconde arrestation, son père meurt sous la torture et elle-même est menacée. Elle décide alors de rejoindre sa sœur en Turquie en emportant la danse dans son exil. 

 

Le corps en exil : la danse comme un ancrage

 

“ Je me suis retrouvée loin de mon pays avec un seul outil, c’est mon corps et tous les souvenirs que j’ai apporté là-bas”. 

propos de Yara Al Hasbani

 

A son arrivée en Turquie, en 2013, Yara se voit obligée d’arrêter ses projets artistiques. La danse continue cependant de l’accompagner. À Istanbul, elle va dans les parcs et danse. “Je faisais des mouvements pour faire sortir mon désespoir de mon coeur”. Elle donne également des cours et poursuit ses études. 

 

Après quelques mois, elle part pour la France. Elle s’installe dans un premier temps à Rochefort puis à la Rochelle où elle prend des cours de danse, de classique, de jazz et de contemporain. Après quelques mois, elle s’installe à Paris. Grâce à l’atelier des Artistes en exil, une association qui regroupe des artistes réfugiés du monde entier, elle recommence progressivement ses projets artistiques. 

 

Cette association lui permet de reprendre contact avec le monde artistique et lui offre un espace dans lequel se projeter. Elle y rencontre Thierry Thieû Niang, un chorégraphe et danseur, pour qui elle dansera le spectacle “Va voir là bas si j’y suis” au côté de dix autres danseur.se.s de l’atelier. Elle participe également à plusieurs festivals parmi lesquels le « Printemps de la danse arabe” et le festival “Syrien n’est fait”, qui réunit des artistes syriens exilés en France. 

 

La danse lui permet alors de retrouver un ancrage dans cet univers inconnu. Elle lui permet d’exister malgré tout, malgré toutes les difficultés et de dire haut et fort :

 “Je suis là, j’existe, je peux faire beaucoup de choses”. 

 

“Danser, c’est mieux que parler” : raconter et se raconter par la danse

 

La danse constitue alors une porte d’entrée dans cet univers nouveau. Elle lui permet de se présenter au monde et de se faire connaître, non pas en tant que réfugiée syrienne mais en tant que danseuse. Se “ présenter comme une danseuse, c’était toujours un moyen facile”, affirme-t-elle.

 

La danse devient alors un moyen de se raconter aux autres, autrement que par les mots. Par le mouvement, elle donne à voir, en filigrane, son histoire et son parcours. 

 

C’est dans cet objectif qu’elle créera en 2017 le spectacle Unstoppable. Retraçant son exil, cette pièce lui permet de se présenter, de proposer une biographie permettant aux spectateur·rices de saisir des fragments de sa vie à travers ses mouvements sans avoir à raconter toute son histoire. Cela lui permet ainsi de contourner les questions indiscrètes sur les raisons de son exil, les violences subies en Syrie et son histoire en donnant à voir plutôt qu’à entendre.

 

Pendant ces 12 minutes de danse, divisées en quatre parties, elle raconte ainsi l’hésitation face à l’exil, le choc et l’errance à son arrivée en France, puis le combat, par la danse, qui lui permet de continuer, de résister et d’exister en continuant à danser, malgré tout, malgré toutes les difficultés. 

 

S’engager par la danse : la danse comme arme politique 

 

C’est ainsi que, dès 2013, Yara Al Hasbani s’empare de la danse pour faire porter des messages et faire entendre la voix des syrien·nes. Face aux violences perpétrées par le régime, l’art devient pour Yara Al Hasbani une arme politique pour dénoncer et s’engager. Elle définit alors sa danse comme une “danse politique”. 

En 2013, Yara Al Hasbani participe ainsi à la compétition “Arab got a Talent” qu’elle remporte grâce à  une chorégraphie ouvertement engagée contre le régime de Bachar Al-Assad. 

L’exil apporte ensuite une nouvelle dimension à la danse de Yara Al Hasbani. Loin de son pays et dépourvue d’autres moyens d’actions et de lutte contre les violences du régime, la danse se présente alors comme un moyen de mettre en lumière ses violences et “d’élever la voix pour que les gens n’oublient pas ». 

 

“Parce que je ne suis pas capable d’arrêter les bombardements ni de changer quelque chose au système, politiquement pour le moment, mais je suis capable de faire une danse qui incarne la catastrophe qu’ils ont vécu et peut être la nostalgie que je vis, pour ce pays.”

 

Seule ou à l’occasion de manifestations, elle sort dans les rues de Paris et danse. En 2015, elle danse sur la place du Trocadéro pour dénoncer une attaque chimique perpétrée contre des centaines d’enfants syriens par le régime. Elle reproduit, à partir de photos retrouvées des corps des enfants, les positions des corps des enfants retrouvés morts après l’attaque. Elle danse également à l’occasion d’une manifestation de femmes syriennes contre une attaque dans la banlieue de Damas ou pour les personnes emprisonnées par le régime. 

 

“Cette dépossession corporelle est éminemment politique.”

 

Cet engagement politique, Yara Al Hasbani le poursuit aujourd’hui au sein de sa dernière production : ELHAM. Présenté pour la première fois le 29 mars 2022 à Paris, ce spectacle traite du corps des femmes arabes, et notamment des femmes syriennes. Cette pièce, elle la danse en présence de deux autres danseuses, Ludivine Mirre et Aurélia Chanolo. Ensemble, elles racontent leurs histoires et leur rapport au corps. 

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ELHAM, source : https://www.facebook.com/canopyactualite/photos/pcb.995947941062511/995947881062517

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.Dans une première partie, elle raconte la sujétion et le contrôle exercé sur le corps des femmes. Quel que soit l’endroit dans le monde, le corps des femmes est un enjeu de lutte et de pouvoir. Il est l’objet de violences, de menaces et d’oppressions multiples. Cette violence, exercée en temps de paix, est prolongée et amplifiée en temps de guerre. En Syrie, le corps des femmes est devenu le “terrain d’une guerre idéologique” (Fabrice Virgili) entre le régime et ses opposants. En touchant aux corps des femmes, le régime touche à l’intégrité sociale d’une société reposant sur l’honneur.

 

Ces violences, quelles qu’elles soient, rapportent les femmes à leurs corps et réduisent ces corps à des objets dont il est possible de disposer et par l’intermédiaire desquels on impose son pouvoir. Cette violence corporelle dépossède les femmes de leurs pouvoir et  “cette dépossession corporelle est éminemment politique”. 

 

Danser, c’est alors reprendre le contrôle. Par la danse, les corps s’émancipent. Ils se déploient, s’expriment et imposent leur présence. Ils redeviennent des sujets à part entière, retrouvent leur liberté de se mouvoir, de ressentir et de s’exprimer.  

La danse est donc un outil puissant de transformation dont Yara Al Hasbani s’est emparée très jeune. Parce qu’elle est un langage qui passe par le corps, la danse a permis à Yara Al Hasbani de se raconter, de partager son histoire et de porter un message politique, en faisant fît de la barrière de la langue. La danse est un langage universel : en partant d’une histoire individuelle, elle donne à voir une réalité collective et éminemment politique. 

 

« On danse d’abord en soi

avant de danser au dehors.

Oui, je danse et rien ne m’arrêtera,

je suis unstoppable. » 

Salomé BOSCHER pour l’association LOBA

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Pour aller plus loin… 

Sur l’engagement d’artistes syrien.ne.s dans la révolution 

 

 

L’atelier des artistes en exil

 

Pour suivre le travail de Thierry Thieû Niang

 

À suivre

@atelierartistesexil

@yaraalhasbani

 

Ses créations 

Démonstration de danse des danseuses Yara Al-Hasbani et Amal Al-Nabwani à l’Atelier des Artistes en Exil

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