Amours Silenciées : Repenser la révolution amoureuse depuis les marges – Christelle Murhula

Depuis quelques années, on retrouve davantage d’ouvrages mettant en avant les femmes sur les étals de librairie. Des contes pour enfant aux romans en passant par les bandes dessinées éducatives, on observe une volonté d’accentuer l’apprentissage de l’égalité aux enfants, mais également de diversifier les profils des héroïnes. 

Nombreux sont les supports qui décortiquent les inégalités hommes-femmes et  leurs conséquences sous plusieurs formes et par divers prismes. Côté essai, il est impossible de passer à côté des nombreux ouvrages féministes comme  Réinventer l’amour de Mona Chollet, sorti en 2021. On retrouve également des podcasts tels que Le Coeur sur la Table

L’un des aspects les plus abordés dans ces essais récents est la suivante : la place de la femme dans le couple et sur le marché de l’amour. On y parle de révolution romantique : on y remet en question les schémas traditionnels du couple, les dysfonctionnements des relations hétérosexuelles dus à l’éducation genrée des enfants, la représentation des romances hétérosexuelles… 

Mais s’il est effectivement pertinent d’aborder de tels sujets et de permettre l’empowerment des femmes, ainsi qu’une remise en question de nos biais, une grande partie de la population s’avère être sous représentée dans cette lutte. 
CHRISTELLE MURHULA est une journaliste indépendante et autrice. Dans son premier essai sorti en 2022 intitulé Amours Silenciées : Repenser la révolution romantique depuis les marges, elle décortique le discours existant, les normes hétéro-romantiques et l’inégal accès à l’amour des femmes selon leurs origines ethniques, géographiques et sociales.

Noire avant d’être une femme

Si Christelle Murhula explique que les femmes racisées et/ou précaires et/ou atteintes d’un handicap sont en marge de cette révolution et sont les plus susceptibles de subir des violences, elle se concentre surtout sur la femme noire puisqu’elle s’appuie sur sa réalité.

Les femmes noires, de par leur genre et leur couleur de peau, subissent une double discrimination, à la fois victime de sexisme mais également de racisme – parfois perpétré par leurs homologues masculins. Ainsi, des sujets tels que la misogynoir et le fétichisme dont sont victimes les femmes noires sur le marché de l’amour sont abordés tout au long de l’essai. 

Toutes les femmes sont blanches, et tous les noirs sont des hommes »

– Christelle Murhula (Amours Silenciées, chapitre 2 « Devenir lesbienne, réelle solution miracle ? »)

La phrase “toutes les femmes sont blanches, et tous les noirs sont des hommes” explique comment les femmes noires sont omises des luttes pour l’égalité des genres et anti-racistes. De par leur couleur de peau, leur féminité est souvent décriée ou alors bestialisée, autant par les personnes blanches que les hommes noirs.

Cette phrase résume également comment les théories avancées sur la révolution romantique et la place des femmes dans le couple se sont faites sans prendre en compte les autres inégalités et discriminations subies par les minorités. Autrement dit, les solutions apportées conviennent pour un profil : blanc, valide, bourgeois.

Le sexisme, la seule problématique du couple hétérosexuel ? 

Dans le précédent Lecture by LOBA, nous avions parlé du livre Sortir de l’hétérosexualité. Cette référence est également citée dans Amours Silenciées. Cet essai de l’écrivaine et militante Juliet Drouar nous invite à repenser la norme hétérosexuelle et à aimer au-delà du genre. 

Néanmoins, dans la théorie du lesbianisme politique1, le premier oppresseur est l’homme, quelque soit sa race. S’il s’agit d’un fait évident pour une femme blanche, cela l’est moins pour une femme racisée qui subit des discriminations non pas uniquement  en lien avec son genre mais également avec la couleur de sa peau.

Amours Silenciées propose une réflexion sur les différents schémas de couple hétérosexuels et leur représentation : celui d’une femme noire avec un homme blanc et celui d’une femme noire avec un homme noir, communément appelé le black love2. 

Dans le premier cas, le couple mixte est vu comme un marqueur de l’évolution de la société et des mentalités. Néanmoins, l’autrice déplore la non-représentation des femmes noires dans les documentaires qui parlent de couples aux origines et religions différentes. Par ailleurs, l’étude de l’INED évoqué dans ce passage semble mettre sous silence le racisme qui peut être vécu au sein d’un couple mixte. Cela serait nier la fétichisation dont sont victimes les femmes noires, supposément plus “animales” que les femmes blanches. 

Dans le second cas, lorsque des couples noirs sont représentés, on remarque que la femme est souvent plus claire que l’homme. Là encore, le fait de représenter une femme, certes noire, mais tout de même claire renvoie à l’idée qu’une peau foncée n’est pas désirable. Ici on peut parler de colorisme3. La femme noire est davantage perçue comme une soeur, ou une figure maternelle, mais rarement comme une femme pouvant susciter un intérêt romantique. C’est ce que certains hommes noirs ont bien fait comprendre en 2016 à travers le hashtag #ToutEstNoirSaufNosMeufs. En bref : seules les femmes claires pourraient être dignes d’être aimées. 

Vers un féminisme plus inclusif : trouver une place pour toutes les femmes

Cet essai de Christelle Murhula invite également le.a lecteur.ice à se questionner sur l’inclusivité des mouvements féministes ainsi que sur l’intersectionnalité. Parler de révolution romantique est effectivement un bon début. Cependant, il est important de ne pas voir cette problématique uniquement par le prisme du sexisme et de prendre en compte les facteurs raciaux, économiques et sociaux, sans quoi, seule une partie des femmes est représentée.

La place de la sororité dans les luttes pour les droits des femmes 

Cet essai évoque également le comportement teinté de racisme et misogynie de femmes blanches envers des femmes noires. Un exemple cité est la réaction de femmes blanches qui ont du mal à accepter qu’une femme noire puisse trouver l’amour avant elle, consciemment ou non. Encore une fois l’on retrouve cette pensée, parfois inconsciente, que les femmes noires seraient moins féminines, trop masculines même, et qu’il est impensable qu’elles puissent séduire dans un monde où les standards de beauté sont occidentaux. Des cheminements de pensées hérités de l’époque coloniale dont il est encore difficile de se défaire réellement pour certain.e.s, même lorsqu’iels se revendiquent féministes. 

Le racisme, assumé ou non, et l’omission de l’existence d’autre catégorie de femmes lorsque l’on parle de sexisme sont des formes d’oppression qui peuvent être perpétrées par des femmes cumulant les privilèges (de classe, de race etc). Des femmes qui, de part leur blanchité (et le déni de cette même blanchité), présentent des comportements oppressifs au même titre que les hommes. Ces mêmes femmes qui pourtant, luttent pour les droits des femmes et revendiquent l’importance de la sororité (solidarité féminine). 

Cela nous amène à nous poser la question suivante : la sororité est-elle possible sans remise en question de ses propres privilèges ? 

Pour conclure

A travers cet essai, Christelle Murhula invite le.a lecteur.ice à réfléchir sur la question des femmes noires dans les relations amoureuses, mais plus largement sur la place  des femmes issues des minorités dans les luttes féministes. Si elle nous fait part de sa réflexion en tant que femme noire, elle invite les autres femmes subissant d’autres types de discrimation à prendre la parole elles aussi. 

Une lecture enrichissante, que nous conseillons grandement chez LOBA.


Pour LOBA

Ny Aina RAVAOMIARANTSOA (Chargée des projets Re-Création Lycées et Masculinités)

LEXIQUE

1 Théorie selon laquelle il faudrait évincer les hommes de notre sphère sociale et amoureuse afin de lutter idéalement contre le patriarcat 

2 Terme emprunté à l’anglais américain qui vise à valoriser les couples noirs, vus alors comme un refuge contre l’oppression sociale et raciale

3 Forme de discrimation intra-communautaire fondée sur la variation de l’intensité de la couleur de peau